"La nouvelle n’a été rapportée que par la presse économique spécialisée et par quelques blogs : « L’administration américaine a opposé une fin de non recevoir à une demande adressée par la France pour lever l’embargo sur la vente d’avions à la Syrie », a déclaré lundi 28 décembre le ministre syrien des transports Yaarob Badr. En septembre, l’avionneur européen avait signé un accord de principe avec Syrian Air pour l’acquisition de 14 Airbus, accord conditionné à un aval américain avant la fin de l’année – l’avion comportant des pièces américaines. Or le président Obama a prolongé l’embargo, provoquant la colère de la Syrie.
Le ministre syrien a critiqué cet embargo qui « a placé la compagnie Syrian Arab Airlines en difficulté en l’empêchant d’acquérir les avions et les pièces de rechange nécessaires ». C’est peu de le dire. La compagnie syrienne retarde ou annule régulièrement ses vols pour cause de défaillances techniques, elle loue des appareils à l’étranger pour assurer certaines liaisons et l’on murmure à Damas que le propre avion officiel du président Bachar Al-Assad ne serait pas sûr.
On comprend que le président syrien en fasse un test de l’attitude de l’administration Obama quand je l’interroge sur l’état des relations entre la Syrie et les Etats-Unis : « Je ne peux pas parler de relations bilatérales quand l’embargo est toujours en place. On ne peut pas parler de relations normales quand les Etats-Unis nous punissent. » Le Syrian Accountability Act, adopté par le Congrès américain en 2003, est toujours en vigueur et le président Obama a prolongé pour un an, en juillet 2009, d’autres mesures de rétorsion prises par le président Bush en 2007. Le président Assad semble perplexe face à la nouvelle administration. Il salue le changement de rhétorique, mais attend toujours des actes et… la nomination d’un ambassadeur américain à Damas.
La Syrie et les Etats-Unis continuent de s’observer en chiens de faïence. Deux rapports de l’International Crisis Group, publiés à la mi-décembre, Reshuffling the cards ? (I) : Syria’s evolving strategy et Reshuffling the cards ? (II) : Syria’s New Hand, ont le grand mérite d’essayer d’analyser les différents facteurs qui guident les décisions syriennes, alors qu’à Washington prévaut une vision de la Syrie comme un acteur animé par des « mauvaises intentions », par un désir viscéral de nuire aux Etats-Unis. Comprendre la logique et sa complexité, sans forcément l’accepter, permettrait sans doute à la diplomatie américaine de mieux travailler. Ce que met en lumière, remarque le rapport de l’ICG, « la bataille de clichés » qui fait rage à Washington ......
Le Liban est un bon cas d’école. Le président nous reçoit alors qu’il sort d’une conférence de presse qu’il a tenue le matin même avec Saad Hariri. Cette visite spectaculaire du premier ministre libanais, sans précédent depuis 2005, l’assassinat de son père Rafic Hariri et le départ des troupes syriennes du pays, est considérée par la presse régionale comme historique. Elle est, affirme Assad,« non pas une page nouvelle, mais une phase nouvelle, un retour à la normale. Elle ne concerne pas le passé, mais l’avenir, ce que nous devons faire ensemble ». Elle confirme aussi le pragmatisme syrien : d’un côté, il n’y aura pas de retour à la situation d’avant 2005 quand l’essentiel de la politique libanaise se décidait à Damas ; de l’autre, la Syrie rappelle qu’elle est un acteur incontournable – la coalition du 14-Mars qui s’était constituée avec la volonté d’en finir avec tout rôle syrien est défaite et divisée, Walid Joumblatt, le leader druze, s’en est éloigné et les ministres chrétiens du 14-Mars ont critiqué la visite de Hariri.
Ce pragmatisme, on le retrouve dans les relations avec la Turquie dont le premier ministre Recep Erdogan s’est rendu à Damas le 23 décembre pour présider le Conseil de coopération stratégique turco-syrien. Qui se souvient qu’il y a une dizaine d’années, les deux pays étaient proches de la guerre ? Désormais, c’est bien un axe stratégique qui se dessine, aux conséquences incalculables pour l’avenir de la région. ....... Et le président semble convaincu que l’avenir de la région doit être pris en main par les pays de la région eux-mêmes, sans ingérences étrangères...
Alors que la Syrie est sérieusement préoccupée par ses problèmes économiques et sa volonté d’un développement accéléré, la Turquie représente un atout majeur, bien plus significatif que l’Iran dont les capacités économiques sont réduites, comme l’explique le rapport de l’ICG.....
Et le rôle de médiateur de la Turquie dans les négociations syro-israéliennes ? Le président Assad éclate de rire : « Nous avons besoin d’un médiateur entre la Turquie et Israël. » Les relations entre les deux pays se sont en effet tendues depuis la guerre contre Gaza et les critiques turques à l’égard d’Israël......
La France peut-elle aider ? Le président semble réservé : « La France est un acteur international et la Turquie un acteur régional, ils peuvent jouer un rôle complémentaire, mais nous devons d’abord relancer le rôle turc, alors la France pourra le soutenir et jouer un rôle. » Quoi qu’il en soit, le président ne cache pas scepticisme : il pense qu’il n’existe aucun interlocuteur israélien prêt à faire la paix. D’autant qu’Assad refuse « les négociations sans conditions » proposées par Netanyahou, négociations dont les bases ne seraient pas clairement établies (« la paix contre les territoires »).
Parmi les dossiers régionaux, celui du nucléaire iranien est parmi les plus sensibles. Il concerne Damas dans la mesure où une partie de l’administration américaine fait du relâchement des relations entre l’Iran et la Syrie une condition à des gestes américains en direction de cette dernière. Si c’est le cas, rien ne semble indiquer que le président Assad soit prêt à lâcher l’Iran, ce qu’il avait déjà affirmé lors de notre précédent entretien...."
"'America is something that can be easily moved. Moved to the right direction.They won’t get in our way'" Benjamin Netanyahu
Sunday, January 3, 2010
Le Proche-Orient vu par Bachar Al-Assad
Le Monde-Diplo, here
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