AVIS N° 37/2007 (LIBAN)
Communication adressée au Gouvernement le 27 avril 2007.
Concernant : Général Jamil Al Sayed, Général Raymond Azar, Général Ali El Haj, Général Moustapha Hamdane, Ahmad Abdel Aal, Ayman Tarabay, Moustapha Talal Mesto And Mahmoud Abdel Aal
. L'État est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
1. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a été créé par la résolution 1991/42 de la Commission des droits de l'homme, qui en a précisé le mandat par la résolution 1997/50. Le mandat du Groupe de travail a été confirmé par le Conseil des droits de l'homme dans sa décision 2006/102 et prolongé pour une période de trois ans par sa résolution 6/4 du Septembre 2007. Agissant conformément à ses méthodes de travail, le Groupe de travail a transmis au Gouvernement la communication susmentionnée.
2. Le Groupe de travail remercie le Gouvernement de lui avoir communiqué en temps utile les renseignements demandés.
3. Le Groupe de travail considère comme arbitraire la privation de liberté dans les cas ci-après :
i) Lorsqu'il est manifestement impossible d'invoquer une base légale quelconque qui la justifie (comme le maintien en détention lorsque la personne concernée a fini de purger sa peine ou malgré une loi d'amnistie qui lui serait applicable) (catégorie I) ;
ii) Lorsque la privation de liberté résulte de poursuites ou d'une condamnation relatives à l'exercice de droits ou de libertés proclamés dans les articles 7, 13, 14, 18, 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et aussi, pour les États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans les articles 12, 18, 19, 21, 22, 25, 26 et 27 de cet instrument (catégorie II);
iii) Lorsque l'inobservation, totale ou partielle, des normes internationales relatives au droit à un procès équitable, établies dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans les instruments internationaux pertinents acceptés par les États concernés, est d'une gravité telle qu'elle confère à la privation de liberté, sous quelque forme que ce soit, un caractère arbitraire (catégorie III).
4. Vu les allégations formulées, le Groupe de travail se félicite de la coopération du Gouvernement. Il a transmis la réponse du Gouvernement à la source et a reçu les observations de celle-ci à son sujet. Le Groupe de travail estime être en mesure de rendre un avis sur les faits et circonstances de l'affaire, compte tenu des allégations formulées, de la réponse du Gouvernement et des commentaires de la source.
5. Les cas mentionnés ci-dessous ont été rapportés au Groupe de travail sur la détention arbitraire comme suit : A la suite de l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, M. Rafic Hariri, le 14 février 2005, et répondant à une demande des autorités libanaises, le 7 avril 2005, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté à l'unanimité la résolution 1595. Cette résolution met en place une Commission d'enquête internationale et indépendante. Elle a été dirigée par M. Detlev Mehlis, et depuis le 11 janvier 2006 par M. Serge Brammertz.
6. Dans le cadre de cette Commission d'enquête chargée d'identifier les auteurs, commanditaires et complices de l'attentat, et avec la collaboration du juge d'instruction libanais en charge de l'affaire, Monsieur Elias Eid, de nombreuses arrestations et détentions ont été ordonnées.
7. Selon les informations communiquées par la source, huit (8) personnes, toutes de nationalités libanaises, Ahmad ABDEL AAL, Ayman TARABAY, Moustapha Talal MESTO, Mahmoud ABDEL AAL, Général Jamil AL SAYED, Général Raymond AZAR, Général Ali EL HAJ, Général Moustapha HAMDANE, sont détenues depuis plus d'une année et demie sans avoir été inculpées et sans que ne soit connue l'échéance de leur éventuel procès. Plusieurs demandes de remise en liberté ont été formulées par lesdites personnes, mais toutes ont été rejetées. Une réelle zone grise perdure quant à savoir quelle autorité se reconnaîtrait compétente pour statuer sur la situation judiciaire de ces détenus. En effet, selon les informations recueillies par la source, la Commission d'enquête affirme que c'est la justice libanaise qui est compétente pour statuer en matière de détention. Cette position a été réaffirmée par le dernier rapport du commissaire Brammertz, le 12 décembre 2006.
8. Suite à leurs arrestations au cours des mois d'août à octobre 2005, et sur la base de suspicions quant à leurs implications dans l'assassinat, les détenus après avoir séjourné temporairement dans divers lieux de détention, ont été transféré à la prison centrale de Roumieh.
9. A l'exception de Messieurs Tarabay et Mesto et plus récemment des frères Mahmoud et Ahmad Abdel Aal, tous sont détenus à l'isolement dans des cellules dépourvues de lumière et d'aération, de 2 mètres de long sur 1,3 mètre de large. Trois de ces détenus souffriraient de problèmes de santé physique et mentale sérieux.
Détails sur les cas individuels
10.1.Le 30 août 2005, à 5h30 le matin, des patrouilles de la Commission d'enquête se sont présentées au domicile du général Jamil El Sayed, ancien directeur de la Sûreté générale du Liban, munies d'un ordre signé par le président de la Commission d'enquête internationale, M. Mehlis, qualifiant le général El Sayed de « suspect ». Le général El Sayed a été ensuite conduit au siège de la Commission, où il a été soumis à un interrogatoire prolongé par un enquêteur de la Commission, et en l'absence d'avocat. Ensuite, le général El Sayed a été placé en détention au siège des Forces de Sécurité Intérieure.
10.2 Le jour suivant, l'enquêteur de la Commission a demandé au général El Sayed de signer les procès-verbaux de l'interrogatoire. Il a demandé de voir son avocat, Me Akram Azoury. Me Azoury est arrivé sur les lieux et a émis des réserves sur le fait que les enquêteurs n'avaient pas demandé au général El Sayed s'il avait besoin de l'assistance d'un avocat conformément au droit libanais et au droit international. Le général El Sayed a décidé de signer quand même les procès-verbaux.
10.3 Le 1er septembre 2006, le général El Sayed a été convoqué au siège de la Commission pour y être confronté à un témoin, en présence de son avocat et des enquêteurs de la Commission. L'entrevue à été enregistrée et filmée. Le témoin avait la tête couverte par un sac, à l'exception des yeux. Le témoin a affirmé que le général El Sayed s'était rendu sept fois à Damas entre novembre 2004 et février 2005 pour des rencontres avec le chef de la garde présidentielle syrienne et le chef des services de renseignement militaire syriens en vue de planifier l'assassinat du président Hariri, et que la dernière fois il était accompagné du général Moustapha Hamdane, alors chef de la garde présidentielle libanaise. El Sayed a nié ces rencontres et demandé plus de détails sur leurs dates. Il a aussi invité les enquêteurs à vérifier toute date dans ses agendas. Le témoin masqué a été incapable de définir une seule des dates des prétendues sept réunions en Syrie. Le général El Sayed est resté détenu à la disposition de la Commission sur la base de l'ordre verbal que lui avait notifié un des enquêteurs la nuit du 30 août.
10.4 Le 3 septembre 2005, il a été présenté au magistrat instructeur libanais, M. Eïd, qui l'a soumis à un interrogatoire de pure forme qui n'a pas duré plus d'une heure. A la suite de cet interrogatoire, le magistrat instructeur a émis mandat d'arrêt à son encontre.
10.5 Du 3 septembre au 19 octobre 2005, cinq séances d'interrogatoire ont eu lieu avec les enquêteurs de la Commission d'enquête. A chaque fois que l'enquêteur évoquait un individu, le général El Sayed demandait à être confronté à cet individu, et la question était aussitôt classée.
10.6 Le 19 octobre 2005, la Commission d'enquête a présenté son premier rapport au Conseil de Sécurité. Ce rapport accuse les généraux El Sayed, Mustapha Hamdane and Raymond Azar d'être entre les principaux organisateurs de l'assassinat du Président Hariri. Le général El Sayed a pris connaissance des passages qui le concernent six mois après la présentation du rapport. Les accusations contre le général El Sayed se basent surtout sur les déclarations de deux individus (identifiés comme « témoins »). Le premier, M. Houssam Houssam, est probablement l'individu masqué avec qui le général El Sayed a été confronté le 1er septembre 2005. Il a ensuite publiquement rétracté ses déclarations lors d'une conférence de presse tenue le 27 novembre 2005. Aucune confrontation ultérieure n'a été faite avec M. Houssam, ni devant la Commission, ni devant le magistrat instructeur, qui ne l'a pas interrogé jusqu'à ce jour. Le deuxième témoin est M. Zouhair El-Saddik, qui a reconnu devant la Commission qu'il a participé à la phase préparatoire du crime. Le magistrat instructeur libanais n'a pas interrogé M. al-Saddik, et aucune confrontation n'a été organisée avec le général El Sayed. M- al-Saddik a été laissé en liberté et est parti pour la France, où il réside aujourd'hui en toute liberté.
10.7 Le 19 janvier 2006 le général El Sayed a été conduit au siège de la Commission d'enquête pour y être interrogé.
10.8 Le 15 mars 2006 le troisième rapport de la Commission a été publié (le premier sous la présidence de M. Brammertz). Le rapport ne mentionne pas le général El Sayed. La Commission a publié son quatrième et cinquième rapport le 6 juin et le 25 septembre 2006. Aucun de ces rapports n'évoque le général El Sayed.
10.9 Le 7 et 8 avril 2006 un « entretien » de la Commission avec le général El Sayed a lieu à la requête du général (l'enquêteur refuse de qualifier la séance d'interrogatoire). Cet entretien est à ce jour le seul entretien du général El Sayed avec les responsables actuels de la Commission.
10.10 Sur la base de cet entretien, le 23 mai 2006 le général El Sayed a présenté un mémoire (n° 11) demandant à la Commission de retirer la recommandation pour le maintenir en détention. Le 6 juin 2006, la Commission a officiellement répondu au mémoire en indiquant que toutes les questions soulevées dans ce mémoire étaient de la compétence exclusive des autorités judiciaires libanaises.
10.11 Le 20 juin 2006 les avocats du général El Sayed ont présenté au magistrat instructeur une demande de retrait du mandat d'arrêt émis à l'encontre de leur client. La demande de retrait du mandat d'arrêt n'ayant pas reçu de réponse, le 12 octobre 2006 le général El Sayed a déposé auprès de la Commission une nouvelle requête de rétractation de la recommandation de détention. Par courrier du 24 octobre 2006, le président de la Commission a rappelé que les autorités libanaises demeurent exclusivement compétentes en ce qui concerne toute question de détention.
10.12 Le général Jamil El Sayed a présenté sa dernière demande de remise en liberté le 25 mars 2007.
11. Le général Moustapha Hamdane était chef de la garde présidentielle, le général Raymond Azar chef des services de renseignements de l'armée, et le général Ali El Haj chef des Forces de Sécurité Intérieures. Comme le général El Sayed, les généraux Hamdane, Azar et El Haj ont été arrêtés le 30 août 2005, chacun à son domicile, par des représentants de la Commission d'enquête internationale assistés des forces de sécurité intérieure libanaises. On leur a présenté un mandat de perquisition et on a procédé à la perquisition de leurs domiciles. Ils ont ensuite été conduits au siège de la Commission d'enquête internationale à Monteverdi. Ils ont été placés en état d'arrestation suite à leur audition au siège de la Commission d'enquête internationale le même jour. Les trois militaires ont été interrogés durant trois jours, sans la présence d'un avocat. (Le code de procédure pénale libanais permet une garde à vue de 24 heures renouvelable une fois, sans la présence d'un avocat.) Le 3 septembre 2005, le magistrat d'instruction libanais (M. Elias Eid) a ordonné leur placement en détention. Ils sont détenus « pour les besoin de l'enquête » et n'ont pas été inculpés. Toutefois, les demandes de remise en liberté introduites par leurs avocats ont été rejetées par le magistrat d'instruction. Après les trois jours au siège de la Commission d'enquête internationale, ils ont été détenus dans des locaux des forces de sécurité. Ils ont ensuite été transférés à la prison de Roumieh, où ils sont toujours détenus à l'isolement dans la section sous le contrôle exclusif des services de renseignements du Ministère de l'Intérieur. Les généraux Raymond Azar, Ali El Haj et Moustapha Hamdane ont présenté leurs dernières demandes de remise en liberté le 2 février 2007.
12. Messieurs Ayman Tarabay et Moustapha Talal Mesto travaillaient en tant que vendeurs dans le domaine de la téléphonie mobile. Ils ont été arrêtés le 13 septembre 2005 pour avoir vendu des cartes de téléphone durant la période autour de l'attentat contre Rafic Hariri sans prendre l'identité des acheteurs des cartes. M. Talal Mesto a été détenu pendant un mois au siège des services de renseignement relevant du ministère de l'intérieur. Ensuite il a été transféré à la prison de Roumieh. Les deux hommes étaient détenus à l'isolement jusqu'au 7 décembre 2006. Leur détention a été ordonnée par le magistrat d'instruction Elias Eid, mais ils n'ont été inculpés d'aucun crime. M. Tarabay souffre de sérieux problèmes neurologiques dus, selon ses proches, à une méningite et il présenterait également une détresse psychologique importante. Quant à M. Mesto, celui-ci présente depuis son arrestation, des problèmes cardiaques non négligeables qui requièrent également une assistance médicale. M. Ayman Tarabay a présenté sa dernière demande de remise en liberté en février 2007. Elle est restée sans réponse. M. Moustapha Talal Mesto a présenté sa dernière demande le 9 mars 2007. Elle a été rejetée deux semaines après.
13. M. Ahmad Abdel Aal était chargé des relations publiques dans une association musulmane caritative. Il a été convoqué le 28 septembre 2005 par le juge militaire qui souhaitait l'entendre dans une affaire de trafic d'armes. Il a été détenu au centre de détention du Tribunal militaire de Beyrouth. Alors que le juge d'instruction militaire devait ordonner sa libération sous caution, la Commission d'enquête internationale, conjointement avec la police libanaise, ont demandé sa détention. Il a ensuite été déféré devant le juge d'instruction Elias Eid, qui le 21 octobre 2005 a ordonné son placement en détention. M. Ahmad Abdel Aal a déclaré à son avocat qu'il a été contraint de signer des dépositions qu'il n'a pas pu lire en raison de sa mauvaise vue et parce que il n'avait pas ses lunettes. Les autorités le suspectent d'avoir eu des contacts téléphoniques avec des officiers suspectés de complicité dans l'assassinat de Rafic Hariri, mais aucune charge n'a été retenue contre lui. M. Ahmad Abdel Aal est atteint d'un cancer en cours d'évolution. Son état de santé demeure inquiétant, et requiert au plus vite des soins médicaux. M. Ahmad Abdel Aal a présenté sa dernière demande de remise en liberté le 30 mars 2007.
14. Finalement, M. Mahmoud Abdel Aal, Directeur des relations dans la compagnie d'électricité Delbani, fut arrêté le 21 octobre 2005, sur convocation par la police à la gendarmerie de Basta. Ensuite il a été transféré au siège des services de renseignements du ministère de l'Intérieur à Beirouth, où il a été détenu pendant cinq jours. Puis il a été transféré au Palais de Justice où il est resté une journée. Depuis le 26 octobre 2006 il est maintenu en détention dans la section de la prison de Roumieh sous le contrôle exclusif des services de renseignements du Ministère de l'Intérieur sur la base qu'il aurait eu des contacts téléphoniques avec des personnes suspectées d'être impliquées dans l'attentat contre Rafic Hariri.
15. Dans tous les cas mentionnés, la source considère que les droits fondamentaux à un procès juste et équitable ne sont pas respectés. En effet, lesdites personnes sont détenues depuis plus d'un an et sept mois sans aucun chef d'accusation ni jugement. Bien que leurs avocats aient introduits nombreuses demandes de mise en liberté, les détenus ne disposent de facto d'aucun recours devant une juridiction capable de se prononcer sur le principe de leur inculpation et leur maintien en détention. Dans le cas du général El Sayed, par exemple, la Commission d'enquête internationale a « recommandé » la détention et s'est ensuite (le 1er octobre 2005) opposée à sa libération. Mais depuis la substitution de M. Mehlis avec M. Brammertz comme président, la Commission d'enquête à indiqué que « les relations entre la Commission d'enquête internationale indépendante s'exercent dans le cadre de la souveraineté du Liban et de son ordre juridique » et que « les autorités judiciaires libanaises demeurent exclusivement compétentes en ce qui concerne toute question de détention ». Le magistrat d'instruction libanais en charge de l'affaire reconnait n'avoir aucun élément contre le général El Sayed, ni contre les autres détenus, mais n'a à ce jour pris aucune décision en attendant que la Commission d'enquête internationale termine ses investigations et lui transmette des donnés concernant le détenu. Le rapport de M. Brammertz du 12 décembre 2006 indique que la Commission d'enquête internationale a transmis à la justice libanaise des informations « concernant les individus qui sont en détention, sachant que cela pourra aider les autorités libanaises à prendre les mesures qu'elles considèrent appropriés ou nécessaires concernant leur détention » et réaffirme l'exclusive responsabilité de la justice libanaise dans les décisions relatives au maintien en détention de ces personnes.
16. Dans sa réponse, le Gouvernement indique qu'il ne peut être tenu pour responsable des violations qui se seraient produites dans le cadre des investigations de la commission d'enquête internationale et notamment, celles concernant l'interrogatoire de Jamil El-Sayed par l'enquêteur international en l'absence de son avocat et sans qu'il ait été informé de ce droit. Le Gouvernement soutient que les autorités libanaises et la justice libanaise n'ont aucune relation avec les actes d'instruction de la Commission d'enquête internationale.
17. S'agissant de l'allégation de détention des personnes mentionnées dans la communication, le Gouvernement déclare qu'elles ne sont pas détenues mais arrêtées à titre préventive en qualité de suspects dans l'affaire de l'assassinat de l'ex Premier ministre libanais, Rafic Hariri en application du code de procédure pénale libanais qui autorisent l'arrestation préventive des suspects. En ce qui concerne la durée de leur arrestation, le Gouvernement rappelle qu'il s'agit d'une affaire complexe qui a nécessité l'intervention du Conseil de Sécurité et la création d'une commission d'enquête internationale dont l'enquêteur vient de demander une prorogation de délai de six mois et que le Conseil de Sécurité lui a accordée. Le Gouvernement considère que l'arrestation des suspects est tributaire de l'évolution des investigations de la Commission d'enquête internationale, il précise toutefois que cela ne veut pas dire qu'ils seront maintenus en détention jusqu'à la fin de l'enquête.
18. Le Gouvernement conteste l'allégation de la source selon laquelle le juge d'instruction aurait reconnu qu'il ne détient aucun élément contre les personnes susmentionnées. Pour le Gouvernement l'instruction est secrète, elle est toujours pendante et la justice libanaise n'a encore pris aucune décision. Pour ce qui est des conditions de détention et des allégations de mauvais traitements, le Gouvernement invoque l'accord qu'il vient de signé avec le CICR qui permet aux délégué de ce dernier de visiter tous les lieux de détention du Liban y compris ceux gérés par les services de renseignement du ministère de l'Intérieur et il a versé au dossier une copie de cet accord.
19. Commentant la réponse du gouvernement, la source précise que s'il est vrai que les arrestations ont été menées en conformité avec les dispositions du code de procédure pénale libanais, il s'agit en réalité de procédures applicables devant un tribunal d'exception, le Conseil de Justice qui est la plus haute juridiction du Liban et qui autorise la détention illimitée de suspects. En l'espèce elle rappelle que deux ans après leur arrestation, les huit personnes susmentionnées ne sont toujours pas informés des charges retenues contre elles.
20. La source ajoute que quoique recommandée par la Commission d'enquête internationale et ordonnée par le juge d'instruction libanais, la détention des huit personnes se déroule sous la responsabilité de la justice libanaise. Serge Bramnertz président de la Commission d'enquête internationale l'a rappelé à plusieurs reprises. La source se dit vivement préoccupée par la réponse des autorités libanaises qui laisse entendre que la détention des suspects ne soient encore prolongée pour une durée indéterminée, probablement dans l'attente de la constitution du tribunal à caractère international, sans qu'elles ne soient jugées et ce en violation des articles 9.3 et 14.3 (c) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
21. La source se dit préoccupée par la suspension pour une durée inconnue du juge d'instruction en charge de cette affaire, suite à la plainte de l'un des avocats de la partie civile. A l'heure actuelle, la justice libanaise n'est ainsi plus en mesure de statuer sur la détention de ces personnes. Enfin et s'agissant de l'accord conclu entre les autorités judiciaires et sécuritaires libanaises et le CICR, la source souligne que la visite des prisons par le CICR ne garantit pas totalement que des mauvais traitements ne puissent être infligés à certains des détenus, en particulier dans les cas de détention à l'isolement à laquelle sont notamment soumis les quatre généraux.
22. Il ressort de ce qui précède que le Groupe de travail est saisi d'une communication dirigée contre le Gouvernement libanais, mais qui dans le même temps allègue de graves violations qui pourraient conférer à la détention un caractère arbitraire, qu'elle impute aux enquêteurs de la Commission d'enquête internationale. La source considère toutefois que quoique recommandée par la Commission d'enquête internationale, la détention des huit personnes précitées a été ordonnée par le juge d'instruction libanais chargé du dossier et elle se poursuit à ce jour sous la responsabilité de la justice libanaise.
23. Pour rappel le Conseil de Sécurité a décidé, dans sa résolution 1595 (2005) du 7 avril 2005, de créer une Commission d'enquête internationale indépendante basée au Liban afin d'aider les autorités libanaises à enquêter sur tous les aspects de l'attentat terroriste qui a eu lieu le 14 février 2005 à Beyrouth, et qui a provoqué la mort de l'ex-Premier Ministre libanais Rafic Hariri et de plusieurs autres personnes, et notamment à en identifier les auteurs, commanditaires, organisateurs et complices.
24. S'agissant des violations qui auraient été commises par les enquêteurs de la Commission d'enquête internationale, le Groupe de travail précise qu'étant saisi d'une communication individuelle, son examen relève de la procédure d'«avis» prévue dans la section A du chapitre III de ses méthodes de travail révisées1. La procédure d'avis suppose que les communications mettent en cause un ou plusieurs États. En effet, selon les termes de son mandat tel que défini dans la résolution 1991/42 de la Commission des droits de l'homme et tel que réaffirmé par le Conseil des droits de l'homme dans sa résolution 6/4 du 28 Septembre 2007, le Groupe de travail a reçu compétence pour enquêter sur les cas de privation de liberté imposée arbitrairement ou de toute autre manière qui soit incompatible avec les normes internationales pertinentes énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme ou dans les instruments pertinents du droit international, acceptés par les États concernés.
25. Le Groupe de travail considère qu'il n'est donc pas compétent pour se prononcer sur le caractère arbitraire de détentions consécutives à des violations imputées à des enquêteurs agissant dans le cadre d'une commission d'enquête internationale créée par le Conseil de Sécurité.
26. S'agissant de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement libanais. Le Groupe de travail note que le 30 août 2005, les généraux, Jamil El Sayed, Moustapha Hamdane, Raymond Azar et Ali El Haj, puis le 13 septembre 2005, Ayman Tarabay et Moustapha Talal Mesto et enfin le 21 octobre 2005, les frères Ahmad et Mahmoud Abdel Aal ont tous été arrêtés et interrogés par des enquêteurs de la Commission d'enquête internationale qui auraient recommandé à la justice libanaise leur placement en détention. Dans sa réponse, le Gouvernement libanais affirme que les personnes huit susmentionnées ont été placées en détention en qualité de suspects en application du code de procédure pénale libanais par le juge d'instruction désigné par la justice libanaise pour enquêter sur l'assassinat de Rafic Hariri et que ces personnes continuent d'être détenues en cette qualité à ce jour.
27. Les documents soumis à l'appréciation du Groupe de travail font ressortir que les autorités libanaises avaient au départ confié l'enquête criminelle au juge d'instruction militaire principal Rachid Mezher qui s'en est chargé pendant la période allant du 14 au 21 février 2005. À cette date, le Gouvernement libanais a décidé de considérer le crime comme un acte terroriste visant la République, ce qui l'a amené à confier l'affaire à une autre juridiction, le Conseil de la justice, qui est la plus haute instance pénale du Liban. À la suite de cette décision, un nouveau juge d'instruction a été désigné pour diriger l'enquête, le juge Michel Abou Arraj, représentant des services du Procureur général. Le 23 mars 2005, le juge Abou Arraj a démissionné de ses fonctions de juge d'instruction et il a été remplacé par le juge d'instruction Elias Eid. C'est ce dernier qui a ordonné le placement en détention des personnes susmentionnées. Dans sa dernière réponse, la source a indiqué que le juge d'instruction Elias Eid a été suspendu de ses fonctions suite à une plainte de l'un des avocats de la partie civile.
28. Il n'est donc nullement contesté que les huit personnes susnommées ont été placées en détention en vertu de mandats émanant d'une autorité judiciaire libanaise qui est officiellement chargée de l'enquête criminelle sur l'assassinat de Rafic Hariri. Le Gouvernement libanais n'a ni soutenu que les huit personnes sont maintenues en détention à la demande de la commission d'enquête internationale, ni invoqué que cette mesure a été prise dans le cadre de l'exécution de ses obligations découlant de la résolution 1595 (2005) du Conseil de Sécurité. Le Groupe de travail conclut que si l'examen de la communication conclut au caractère arbitraire de la détention, le gouvernement libanais en assume l'entière responsabilité.
29. Pour justifier le maintien en détention depuis plus de deux ans, sans notification de charge et sans inculpation, des huit personnes susmentionnées, le Gouvernement invoque la complexité de l'affaire et les dispositions du code pénal libanais qui autorise la détention pour une durée illimitée de personnes suspectées d'avoir commis une infraction.
30. Le Groupe de travail rappelle qu'il ne suffit pas que la détention soit conforme à la législation nationale, la loi nationale doit aussi être conforme aux dispositions internationales pertinentes énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme ou dans les instruments juridiques internationaux pertinents auxquels l'État intéressé a adhéré, en l'espèce les articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Liban.
31. Le paragraphe 1 de l'article 9 garantie à tout individu le droit à la liberté de la personne, interdit l'arrestation et la détention arbitraire et indique que nul ne peut être privé de sa liberté si ce n'est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. L'interdiction de la détention arbitraire mentionnée au paragraphe 1 implique que la loi elle même ne doit pas être arbitraire. le Comité a eu a préciser que la privation de liberté autorisée par la loi ne doit pas être manifestement disproportionnée, injuste ou imprévisible2.
32. Le paragraphe 2 de l'article 9 dispose que "Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui". Le paragraphe 3 ajoute que toute personne arrêtée ou détenue du fait d'une infraction pénale sera traduite «dans le plus court délai» devant le juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer les fonctions judiciaires et doit être jugée dans un délai raisonnable ou libéré. Le Comité des droits de l'homme a précisé que « le plus court délai » signifie que les délais ne doivent pas dépasser quelques jours3.
33. En l'espèce, il est vrai que les huit personnes détenues ont été présentées devant le juge d'instruction dans des délais plus ou moins raisonnables et c'est ce dernier qui a décidé de les maintenir en détention pour les besoins de l'enquête sans toutefois les inculper et sans leur notifier de charges précises. Le Groupe de travail considère que le maintien en détention sans inculpation et sans notification de charges depuis plus de deux ans prive les personnes susmentionnées de se prévaloir des garanties reconnues à toute personne formellement accusée d'une infraction pénale, notamment, le droit de connaître les charges retenues contre elle et le droit d'être jugée dans un délai raisonnable ou libérée4.
33. Le Groupe de travail réaffirme qu'en droit international la détention avant condamnation doit être l'exception plutôt que la règle, règle qui procède du principe de la présomption d'innocence. Le Comité des droits de l'homme a indiqué que même si elle est initialement légitime, la privation de liberté devient arbitraire et est incompatible avec l'article 9 du Pacte relatif aux droits civils et politiques, si sa durée est illimitée5.
34. Le Groupe de travail conclut que le maintien en détention des huit personnes susmentionnées, pour des durées indéterminées, sans inculpation et sans jugement, viole les normes les plus élémentaires du droit à un procès équitable tel que garanti par les standards internationaux et confère à la détention un caractère arbitraire.
A la lumière de ce qui précède, le Groupe de Travail rend l'avis suivant :
La privation de liberté de Jamil El Sayed, Moustapha Hamdane, Raymond Azar et Ali El Haj, Ayman Tarabay, Moustapha Talal Mesto, Ahmad Abdel Aal et Mahmoud Abdel Aal est arbitraire en ce qu'elle contrevient aux dispositions des articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel le Liban est partie, et relève de la catégorie III des catégories applicables à l'examen des cas dont est saisi le Groupe de travail.
Le Groupe de travail, ayant rendu cet avis, prie le Gouvernement d'adopter les mesures nécessaires pour remédier à la situation de ces personnes, conformément aux normes et principes énoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
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